L’Eglise Anglicane de Bucarest, la Gare du Nord, le Musée de Géologie à Bucarest, le premier Palais du Téléphone sur le boulevard Dacia dans la capitale, la Mosquée Royale Carol I à Constanta, le Palais de l’Art, le Club du Cercle Militaire de Bucarest et la Cathédrale du Couronnement à Alba Iulia, mais aussi des œuvres pour l’Exposition de 1906 au Parc Carol et de nombreuses résidences privées – tous sont des monuments entrés dans la mémoire urbaine de la Roumanie et nés sous les ordres d’un même architecte, Victor Stephanescu.
Récemment, à Constanta, une heureuse initiative a mis en lumière cette œuvre, démontrant une nouvelle fois la valeur du grand architecte.
Une exposition monographique a été inaugurée au Musée d’Art de Constanta, grâce à sa directrice, Doina Păuleanu, et au Collège des Architectes – succursale de Dobrogea, à l’initiative de Radu Cornescu, que nous remercions tous deux.
A travers 40 panneaux, avec de nombreuses photographies et plans de travail, est retracé le parcours de Victor Stephanescu en Dobrogea. Une très belle initiative que nous espérons voir poursuivre à Bucarest!
Victor Stephanescu, étudiant de haute valeur, a poursuivi ses études d’architecture à Paris et fait l’objet d’un scandale officiel lors de la remise des diplômes. En effet, ce jeune homme brillant sort premier de sa promotion ! Mais appelés à féliciter les lauréats, de nombreuses personnalités protestent auprès du représentant du Ministère de l’Éducation : comment est-il possible de n’avoir pas un premier prix français ? La polémique bat son plein.
Il faut que le doyen de la faculté menace de démissionner et de manifester publiquement, pour que Victor Stephanescu soit reconnu comme le premier des diplômés. La cérémonie ménage toutefois les susceptibilités nationales en rendant finalement hommage à deux premiers prix ex-eaquo, en surclassant le second prix français.
Laissant derrière lui ces fiertés d’un autre âge, le jeune architecte revient travailler dans sa Roumanie natale. Il y conçoit dans l’inspiration des architectes français, souvent nommés principaux coordinateurs des plus importants bâtiments de la capitale.
C’est le cas de l’Exposition de 1906, où Victor Stephanescu travaille en équipe avec l’architecte principal, d’origine française. Mais l’une des plus belles œuvres, toujours existantes dans le patrimoine architectural de Bucarest, c’est le palais de Tepes Voda dans l’ensemble du Parc Carol (avec une solution ingénieuse pour la tour d’eau).
Portant l’empreinte de la vallée d’Argeş, où les ruines du château gardent encore les hauteurs, le Palais du Parc Carol en est une sorte de réplique sentimentale pour le jeune architecte qui a grandi au pied de ce château. L’influence d’Arefu, et de ses magnifiques étés dans le manoir familial, est aussi présente dans son œuvre que dans celle de son frère peintre.
En ce qui concerne la construction de la Mosquée Royale Carol I de Constanta, deux belles histoires sont à rapporter à propos du système de chauffage, conçu pour les hivers pontiques, et celle du minaret. L’architecte a longtemps cherché une solution pour faire face aux saisons froides dans cette ville littorale. Compte tenu de l’ampleur monumentale du bâtiment, il a demandé une installation spéciale pour chauffer la mosquée. Cet équipement provenant de Francfort a été placé au sous-sol, où elle se trouve encore aujourd’hui, et alimenté au charbon. L’ensemble du système de chauffage fonctionne depuis lors (seul le combustible en a été changé).
Le minaret fut aussi une source de tracas pour l’architecte, étant considéré par ses pairs comme trop haut et susceptible d’effondrement. Mais sa réponse fut très ferme : il fallait imposer une limitation du nombre de personnes y accédant en même temps et il n’y aurait aucun risque – ce qui fut fait.
En récompense de son travail, le sultan Mohammed V décora Victor Stephanescu de l’Ordre « Medgedia » en 1913.
Enfin, l’histoire d’un autre bel édifice du patrimoine bucarestois, l’Eglise Anglicane : afin de répondre correctement aux exigences de la construction dans un style pratiquement inconnu en Roumanie, l’architecte est allé passer plusieurs mois en Angleterre. Il en est revenu avec des plans qui ont été aussitôt approuvés et avec des matériaux spécifiques, comme ces merveilleuses briques rouges si résistantes. Aujourd’hui, la capitale roumaine possède toujours ce symbole des temps royaux.
Les travaux de la porte principale d’entrée ferroviaire du pays – la Gare du Nord – ont été programmés entre 1930 et 1932, dans le cadre du processus d’extension et de modernisation du site, y compris les colonnes à l’architecture toscane et la tour de l’horloge, ajoutés par Victor Stephanescu.